Au moment de poser le pied en Egypte, mercredi 22 novembre, Fatima Ashour ne peut réprimer un sanglot. Ce ne sont ni des larmes de joie, ni de délivrance. S’y mêlent l’épuisement, le désarroi et la colère. « J’ai dû laisser ma famille, mes amis, mes collègues derrière moi. On nous force à tout abandonner », se désole cette avocate palestinienne.
Depuis le 7 octobre, elle a été déplacée par étapes depuis la ville de Gaza vers le sud de l’enclave, au gré des bombardements. « Nous étions encerclés par la mort. Il n’y a aucun abri. Même les écoles sont ciblées », s’indigne-t-elle. Quatre jours auparavant, une maison voisine à Khan Younès a été soufflée par une bombe. « On a été réveillés par les éclats de verre des fenêtres qui ont explosé au-dessus de nos têtes », se souvient-elle, les yeux hagards.
Mercredi, son nom était inscrit sur la liste des personnes autorisées à quitter l’enclave. A l’aube, elle s’est rendue au terminal de Rafah côté palestinien. Il est 15 h 30 lorsque Fatima Ashour peut traverser la frontière. Un sac en bandoulière pend à son épaule ; à la hâte elle n’a emporté que peu d’affaires et son ordinateur. Dans sa main gauche, elle tient fermement son passeport égyptien, « ce bout de papier » auquel elle doit d’être là, privilège que n’ont pas eu ses proches.
« Mon cœur s’est arrêté de battre »
Au poste-frontière de Rafah, unique échappatoire de l’enclave palestinienne, seuls les détenteurs de passeports étrangers, les binationaux et quelques Egyptiens triés sur le volet sont autorisés à entrer en Egypte. Depuis le 21 octobre, 7 730 ressortissants étrangers et 1 100 Egyptiens ont été évacués.
Dans l’après-midi, des familles arrivent par grappes. Une grand-mère passe en fauteuil roulant. Derrière, les petits-enfants, cartable sur le dos, se tiennent la main. Le père suit, la tête rentrée dans les épaules. Les visages sont fatigués. Quelques Egyptiens forment des comités d’accueil. Les retrouvailles sont chaleureuses mais sans excès. Tout le monde est sous le choc. On échange peu de mots au moment de hisser les valises sur le toit d’un microbus.
Faris, 51 ans, scrute la porte de Rafah sans ciller, à l’affût du moindre visage familier qui traverserait le poste-frontière. Dix membres de sa famille, partis à la veille de la guerre célébrer un mariage à Gaza, doivent arriver aujourd’hui. « C’est comme un piège qui s’est refermé sur eux. Mon cœur s’est arrêté de battre. Cette sale guerre doit s’arrêter », murmure-t-il, économisant ses mots en levant un regard méfiant vers le ciel où bourdonne un drone de reconnaissance israélien.
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