Lorsque Layla Vitorio Peçanha évoque le 8 février 2003, elle en parle comme d’une seconde naissance. Anxieuse, celle qui est alors adolescente prend le chemin du campus de l’université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), l’une des meilleures du pays. Sur un mur est affichée la longue liste des admis au difficile concours d’entrée. Layla cherche son nom, le trouve, crie « très, très fort » et s’effondre en larmes dans les bras d’une amie.
« C’était un jour tellement puissant, historique ! », se souvient cette femme, aujourd’hui âgée de 36 ans, qui, après une licence de sciences sociales, termine un master en santé publique. Car Layla, fille d’un électricien et d’une femme de ménage qui a grandi dans les quartiers pauvres de Rio, est aussi et surtout noire de peau. « D’où je viens, aller à l’université, c’est comme se rendre sur la Lune », lâche-t-elle.
Son succès, elle le doit à son travail acharné mais aussi à des quotas raciaux sans lesquels elle n’aurait « jamais réussi le concours d’entrée ». Mis en place par l’UFRJ dès 2003, avant d’être généralisés dans les universités fédérales brésiliennes par la loi de 2012, ceux-ci ont produit des effets aussi rapides que massifs. En une décennie, le nombre d’étudiants noirs à l’université a bondi de 400 %. Autrefois très minoritaires, ils représentent désormais la moitié des élèves du supérieur.
« Impact général et décisif »
« Historique », le mot choisi par Layla n’est pas trop fort, dans un pays marqué par trois siècles d’esclavage où les Noirs, pourtant majoritaires, demeuraient exclus des hautes études et des meilleurs métiers. Mieux, les quotas ont donné naissance à une génération inédite, dite « des cotistas » (« quotistes », en français), qui bouleverse aujourd’hui les fondements de la société brésilienne.
Adoptés sous la présidence de gauche de Dilma Rousseff, les quotas furent « le fruit d’une bataille très dure », rappelle Paulo Paim, sénateur du Parti des travailleurs, rapporteur du texte et l’un des très rares élus noirs de la Chambre haute. Vent debout, une partie de la gauche a dénoncé l’avènement d’une société d’affirmative action (« discrimination positive ») à l’américaine. « La droite, elle, prévoyait une chute du niveau scolaire et la guerre civile », se souvient M. Paim. Parmi les opposants se trouvaient des figures aussi connues que le chanteur Caetano Veloso.
La loi n’établit pourtant pas de quotas strictement « raciaux ». Si 50 % des places dans les universités fédérales sont réservées aux cotistas, les critères d’attribution mêlent ensuite parcours scolaire, revenus familiaux et origine ethnique pour les Noirs mais aussi les indigènes, le tout proportionnellement à la composition de la population de chaque Etat du Brésil.
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