Les questions que pose l’interdiction des manifestations propalestiniennes

Les questions que pose l’interdiction des manifestations propalestiniennes

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, suivie de la riposte de l’Etat hébreu sur la bande de Gaza, de nombreuses manifestations en soutien à la Palestine ont été interdites en France. Le Conseil d’Etat doit se prononcer, mercredi 18 octobre, pour déterminer si ces interdictions sont légales ou rompent avec le principe de liberté de manifester, reconnu comme fondamental en France.

Quelles manifestations ont été interdites en France ?

Toutes les manifestations propalestiniennes ou presque. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a adressé un message, jeudi 12 octobre, à l’attention de l’ensemble des préfets, précisant : « Les manifestations propalestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites. » La veille, déjà, une interdiction de manifestation en soutien à la Palestine, place de la République à Paris, avait été décidée par la préfecture de police de Paris.

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En dépit de ces interdictions, des rassemblements ont bien eu lieu à Paris, Rennes, Lille et dans d’autres villes. Dispersées par la police, à l’aide de canons à eau et de gaz lacrymogène, ces mobilisations ont donné lieu à quelques dizaines de verbalisations et d’interpellations dans le pays.

Seul un rassemblement en soutien à la Palestine n’a pas fait l’objet d’une interdiction : à l’initiative du Collectif girondin pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, une centaine de manifestants ont pu se mobiliser à Bordeaux, jeudi 12 octobre.

Cette interdiction de manifester est-elle spécifique à la France ?

Non. L’Allemagne a aussi rapidement fait le choix d’interdire les manifestations propalestiniennes depuis le 11 octobre. Pourtant, un rassemblement autorisé s’est déroulé pacifiquement à Düsseldorf le 14 octobre. L’Allemagne et la France font figure d’exception en Europe puisque à Londres, Genève, Copenhague et dans d’autres grandes villes européennes, les manifestations propalestiniennes se sont déroulées en toute légalité.

En France, ce choix d’interdire les manifestations a exaspéré un certain nombre d’élus, souvent issu du groupe Nupes. La députée Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine), a estimé sur X (anciennement Twitter), que ces interdictions de manifester « pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens » étaient « une honte ». Au Conseil de l’Europe, le 11 octobre, le député Emmanuel Fernandes (La France insoumise) a déclaré qu’en « France, la liberté de manifester est réprimée ».

Même le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, s’est montré critique à l’égard de ce choix opéré par la France, en déclarant le 15 octobre : « Interdire les manifestations dans un pays démocratique quand ce ne sont pas des manifestations violentes ne me semble pas être juste. »

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L’Etat peut-il interdire les manifestations sur l’ensemble du territoire ?

La liberté de manifester, issue de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est inscrite dans le droit français depuis 1935. « Une interdiction générale de manifestation est inadmissible. Une décision pareille va à l’encontre de la liberté de manifester. C’est très problématique », affirme au Monde Nathalie Tehio, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme. L’avocate estime que la France, « en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe », devrait se conformer à l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à « l’obligation positive de protéger la liberté de réunion pacifique ». Un texte qui ordonne aux pays signataires de protéger cette liberté.

Malgré ces grands principes, l’Etat peut tout de même interdire des manifestations. « Il faut qu’il y ait un risque de trouble à l’ordre suffisant et que l’Etat démontre qu’il n’a pas les moyens d’encadrer un rassemblement. C’est pour cela que les interdictions doivent être gérées au cas par cas et localement. Les situations varient en fonction des lieux », précise Nathalie Tehio.

Le Monde

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C’est parce qu’il n’avait pas le pouvoir d’interdire a priori toutes les manifestations que le ministre de l’intérieur a demandé aux préfets de s’en charger, chacun à son niveau local. C’est ce contournement qui est à l’origine du recours déposé au Conseil d’Etat par le Comité action Palestine.

Les interdictions de manifestations sont-elles en hausse ?

Concernant les manifestations en soutien à Palestine, ce n’est pas la première fois que des arrêtés d’interdictions sont décidés par les préfectures. En 2014 et 2021, plusieurs rassemblements avaient été interdits en France « pour risque de troubles à l’ordre public ». Mais la cause palestinienne n’est pas la seule pour laquelle des manifestations ont été interdites ces dernières années. « On est plus alerté, on a plus attaqué [à la LDH], a signalé Nathalie Tehio. On estime donc qu’il y a plus d’interdictions de manifestation ces derniers temps et surtout depuis la réforme des retraites. »

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Dès le mois de mars, des manifestations contre le projet de construction de mégabassines à Sainte-Soline avaient été interdites par la préfecture des Deux-Sèvres. S’ensuivirent des dizaines d’arrêtés d’interdictions lors de la période de la réforme des retraites entre avril et juin. Même la marche en mémoire d’Adama Traoré en juillet avait été interdite, en raison du contexte des émeutes consécutives à la mort de Nahel M., à Nanterre.